Congé sabbatique et mouvement brownien

Prendre un congé sabbatique pour voyager implique qu’on se coupe du monde professionnel pendant une longue période.

Je ne parlerai pas ici de la chance unique de passer un an, 24h sur 24 avec sa famille (même si une petite pause de temps en temps fait du bien aussi 😁).

En un an, on a le temps d’oublier. Et encore ! Un an, c’est plus qu’il m’en faut pour me perdre dans les centaines d’acronymes de mon secteur : SSP, DSP, DMP, BPO…

Mais quand bien même on n’oublierait pas tout, comment ne pas être largué quand on bosse dans un secteur qui bouge à toute vitesse ?

Je travaille dans les technologies publicitaires sur internet, plus précisément la publicité programmatique. C’est une industrie qui n’existait pas il y a dix ans, et qui pèse maintenant dans les 40 milliards de dollars.

Autrement dit, ça va vite ! En permanence des boites se créent, d’autres se font racheter par Google ou Facebook, ou AppNexus, comme la mienne, Alenty. Et en permanence des startups ou des géants du net sortent de nouveaux produits.

Mais de cette effervescence que reste-t-il au final ? Quel nouveau produit va passer l’année ? Quelle startup va survivre aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ? Quelle autre va les challenger ?

Cette industrie (comme d’autres certainement, mais à une échelle temporelle différente) me fait penser au mouvement Brownien.

Dans un gaz, les atomes sont en permanence agités dans tous les sens. Donc si on les regarde à un instant t, ils semblent aller dans toutes les directions. Mais sur une plus longue période on peut mesurer le flux de ce gaz dans une direction donnée.

Mon voyage autour du monde m’a protègé de ce mouvement brownien inutile, tout en me laissant voir le flux réel de l’industrie sur une échelle de temps plus longue.

À consulter mes emails et LinkedIn une à deux fois par semaine, et seulement quelques minutes, j’ai certainement perdu de l’information. Mais partant du principe que 80% de ladite information n’était soit pas intéressante, soit pas pérenne, je pense ne pas avoir loupé grand-chose en gardant mes distances.

À l’inverse, je pense que ce voyage m’a permis de prendre du recul sur le secteur. Ne pas sauter sur la moindre historiette qui fait les gros titres jour et disparaît le lendemain met en jeu des processus cognitifs différents. J’ai l’impression de plus chercher à comprendre qu’à apprendre.

Ne pas m’encombrer les neurones avec des acronymes nouveaux qui ne remplissent que deux fonctions, l’une marketing et l’autre de fatuité (faire croire que ce que l’on fait est compliqué), ça fait du bien ! Acronymisez, acronymisez ! On verra bien ce qu’il en restera à mon retour ! La plupart seront retombés dans l’anonymat. Je ne les aurai même pas vus passer !

Voyager permet aussi de voir les usages des technologies dans différents pays. Par exemple, l’extrême difficulté pour trouver des disques durs externes m’a fait comprendre qu’en Asie, les ordinateurs n’existent presque pas, et que seuls comptent les smartphones.

J’analyse aussi la rémanence du reciblage publicitaire. Je suis bombardé de pubs et d’emails pour des hôtels en Inde quand je suis au Japon deux mois plus tard, ou au Cambodge quand je suis déjà en Indonésie. Reciblage ne veut donc pas dire ciblage géo-localisé !

Maintenant que je suis revenu, après un an à barouder en famille, je vérifie la force de ce conseil qu’on m’avait donné avant de partir : tu verras, lorsque tu reviendras, le monde n’aura pas fondamentalement changé, mais toi tu auras changé.

Ai-je changé ? Un peu, oui. Le marché a-t-il profondément changé ? Pratiquement pas !

Certes, AppNexus, mon employeurs, vient de se faire racheter par AT&T. Mais, d’une part, comme dans tous les deals, le mot d’ordre est « business as usual ». D’autre part, je me trouve à mon retour à un niveau de connaissances du futur assez peu différent de celui de mes collègues !

Il y a plein de bonnes raisons de ne pas faire un tour du monde (besoin de stabilité, coût, peur de l’inconnu, des maladies, que sais-je encore ?). Mais au final, l’impact professionnel s’avère plus limité qu’on le croit.

Si l’on est dans une dynamique d’opportunités, partir un an n’est sans doute pas la meilleure idée. Dans ce cas, on peut décaler et attendre la bonne fenêtre.

Parce que ce n’est rationnellement jamais le moment parfait pour partir. Il y aura toujours des problèmes. Mais si aucun problème n’est véritablement bloquant, il suffit de se décider.

Ensuite, on a juste une (longue) liste de tâches à régler. Et c’est parti !

11 réflexions au sujet de « Congé sabbatique et mouvement brownien »

  1. Très bonne et juste analyse qui remet un peu les Points sur les iiiii…
    À très vite !
    Bonne reprise avec une nouvelle vie tout de même 🙂

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  2. La meilleure nouvelle c’est de vous savoir de retour, sains et saufs.
    Notre monde moderne s’agite beaucoup pour rien, c’est un fait. Le challenge de l’humain moderne occidental est de plus en plus de trouver des oasis de silence et la profondeur de l’existence dans ce bruit de fond permanent, décuplé par les nouvelles technologies.

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  3. On a suivi vos pérégrinations, illustrations et réflexions tout au long de cette année !
    C’est une belle aventure pleine de souvenirs et d’enseignements, ce blog en est une belle trace pour y revenir.
    Je vous souhaite un bon retour et de garder votre bel état d’esprit !

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  4. Hello Laurent,

    Est-ce que tu penses 1 an après que le secteur que tu connais si bien a participé à financer un monde meilleur ? Il n’y a jamais eu autant de financement pub de discours de haine/fake news sur les plateformes, non ?
    Est-ce qu’avec 1 an de recul on s’en rend compte ?
    Bon retour,
    Stan.

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